Ré-habiter le corps, ré-enchanter le monde
Il arrive parfois que je déserte ce corps, que je m’absente, quelques instants, quelques heures, quelques jours, quelques semaines.
Je te quitte mon corps, et hors de toi, je suis inexorablement aspirée dans ce monde mécanique de la pensée, ce désert stérile et aride des doutes, peurs, ruminations et autres fantasmes illusoires : ceux qui nous vident de notre substance et nous plongent dans un désespoir qui tourne en rond.
Hors de toi, sans toi, je glisse à mon insu dans cet engourdissement des cellules, cette anesthésie des sens et de la conscience, flottant entre 2 mondes, étrangère à moi-même et au monde.
Je peux si facilement oublier, et je le désire parfois, que je suis faite de chair, d’os, de sang, de sensations, de vibrations sensuelles. Ces tendons, ces ligaments qui me chevillent à mon âme, sont autant de liens au Vivant, au Réel, à cette vie que je peux par mon corps palper, flairer, humer, inhaler, déguster, respirer...
Puis, un jour, de retour sur mon tapis de yoga, je n’ai plus le choix, au détour d’une posture, je suis enfin rappelée à toi, en toi : Par le tremblement de mes muscles, la raideur de mes articulations, le frissonnement secret de ma peau, le vacillement fragile de mon souffle, Quelque chose s’éveille soudain : alors que j’explore, à tâtons, la galaxie de mon épaule ankylosée, le voile de ce demi-sommeil se déchire.
En un instant, l’ouverture de cette hanche fermée et douloureuse me propulse dans un univers de sensations multicolores et vibrantes. En un instant, l’interstice entre mon expire et mon inspire se dilate et la lumière s’y immisce aussitôt. En un instant, ce tremblement dans mes jambes secoue ma conscience et la ramène à la vie. En un instant, mon corps me rend à moi-même, ici, maintenant, tout de suite, sans que rien ne soit requis.
Chaque sensation, frémissement, raideur, étirement, douleur, tension, libération de tension. Chaque perception me rapproche un peu plus de qui je suis à cet instant, pleinement vivante, savourant l’époustouflante expérience d’être en vie Et la gratitude de l’être par Toi, corps pré- cieux, compagnon intime, tel que tu es, ici et maintenant.
Sandra Grange